Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker, Marie DARRIEUSSECQ

Dans ce texte publié en 2016, Marie Darrieussecq raconte Paula Modersohn-Becker, peintre allemande morte à l’âge de 31 ans, dix-huit jours après avoir donné naissance à sa fille, Mathilde.

Qui d’autre que Marie Darrieussecq pouvait rédiger une biographie d’une artiste comme Paula Modersohn-Becker (1876-1907) méconnue de son vivant et quasiment inconsidérée en France ? Car l’histoire de Paula, c’est le récit d’une femme partagée, entre deux pays, la France et l’Allemagne, entre l’injonction d’une vie domestique auprès d’un mari lui-même peintre et l’accomplissement d’une vie d’artiste, entre le désir tantôt repoussé, tantôt exalté, de la maternité.

Pionnière dans le monde de la peinture, Paula prend des cours de nu et réalise des autoportraits. Son mari dit de ses personnages qu’ils ont des « nez en épis de maïs » et des « doigts en forme de cuillère ». Paula passe outre les remarques. Lorsque le désir de peindre, de progresser, de travailler est le plus fort, elle fuit à Paris laissant son mari et l’enfant qu’il a eu de sa première union seuls, elle qui avait pourtant pris des cours de cuisine afin d’être une maîtresse de maison accomplie. Elle brise les entraves.

Sur son œuvre, Marie Darrieussecq énonce les mots suivants :

Chez Paula, il y a de vraies femmes. J’ai envie de dire des femmes enfin nues : dénudées du regard masculin. Des femmes qui ne posent pas devant un homme, qui ne sont pas vues par le désir, la frustration, la possessivité, la domination, la contrariété des hommes. Les femmes dans l’œuvre de Modersohn-Becker ne sont ni aguicheuses (Gervex), ni exotiques (Gauguin), ni provocantes (Manet), ni victimes (Degas) ni éperdues (Toulouse-Lautrec), ni grosses (Renoir), ni colossales (Picasso), ni sculpturales (Puvis de Chavannes), ni éthérées (Carolus-Duran). Ni « en pâte d’amande blanche et rose » (Cabanel, moqué par Zola). Il n’y a chez Paula aucune revanche. Aucun discours. Aucun jugement. Elle montre ce qu’elle voit.

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Autoportrait, 1897.  Gouache 24,5 x 26,5 cm http://www.pmb-stiftung.de/

Paula Modersohn-Becker peint ce qu’elle voit et Marie Darrieussecq écrit ce qu’elle ressent dans cette biographie rédigée au présent de l’indicatif, empreinte de féminisme, sans pathos, dans laquelle l’écrivaine égratigne les grands noms masculins de la peinture, les plaçant dans l’ombre et révélant son sujet à la lumière dans cet exercice de clair-obscur littéraire.

Et la romancière d’évoquer sa vie intime :

La seule photo de moi sur les murs de chez moi est un portrait de Kate Barry, une artiste et une femme que j’aimais beaucoup. Sur cette photo, je me reconnais. Elle date du printemps 2001. En noir et blanc, dans un halo un peu Madone et dans ma cuisine, je suis enceinte de six mois. Je l’ai souvent proposée aux journaux de l’époque quand ils me demandaient des portraits. Elle a été systématiquement refusée. « On voudrait une photo normale a toujours été la réponse ».

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Enfant dormant, vers 1904. 62,5 x 69,5 cm http://www.pmb-stiftung.de/

Dans cette biographie, Marie Darrieussecq parle de Paula et évoque la photographe Kate Barry mais parle aussi d’elle-même, de son propre rapport au corps et du travail artistique féminin en général. En 2016, année de publication du livre, Marie Darrieussecq traduit Un lieu à soi de Viriginia Woolf, essai dans lequel la romancière britannique questionne ce dont une femme a besoin pour écrire : de l’argent et un lieu à soi. On retrouve en filigrane ces thèmes dans cette biographie.

Véritable portrait de l’artiste en jeune femme, Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker de Marie Darrieussecq est une biographie féministe qui, en mettant en lumière le travail d’une peintre souvent écartée des voies conventionnelles, affirme le rôle des femmes dans l’art. « Plus je l’ai aimée, plus j’ai voulu la montrer », dit Darrieussecq de Paula Modersohn-Becker. En tant que biographe, Marie Darrieussecq s’inscrit comme un passeur. Et cela est une splendeur.

Être ici est une splendeur, Vie de Paula M. Becker, Marie DARRIEUSSECQ, Éditions P.O.L. 2016 ; Folio n°6349, 2017.

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